François Dupeyron cinéaste et écrivain, témoin de son temps
- Par guy sembic
- Le 29/02/2016 à 10:32
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... François Dupeyron était mon ami du temps où lui et moi étions pensionnaires au lycée Victor Duruy de Mont de Marsan dans les années 1963 à 1967... C'était en 1964, lorsque j'étais en classe de 3ème M2 et lui, né le 14 août 1950, en classe de 4ème M, et que nous nous retrouvions tous les jours à la même table du réfectoire du lycée ainsi qu'en étude et en récréation, que nous sommes devenus amis, dans une bande de copains (les six autres de la même table de réfectoire)...
A Tartas, François chez ses parents (son père était maraîcher) et moi chez mes grands parents maternels, ainsi que deux autres copains du lycée demeurant aussi à Tartas, nous nous retrouvions parfois ensemble, les dimanche après-midi, soit chez François, soit chez Alain Gardesse le fils du directeur d'école de la ville haute... J'étais de 1948, et eux ils étaient de 1950...
François avait réussi à convaincre ses parents de lui laisser poursuivre ses études après le bac, à l'école de cinéma... C'est ce qu'il a fait.
Pendant sept ans il a réalisé des court-métrages dont l'un d'entre eux "la nuit du hibou" lui a valu un prix, et grâce à ce prix, et un autre encore pour un autre court métrage, il a pu avancer pour réaliser son premier long métrage "Drôle d'endroit pour une rencontre" (le film qui l'a "lancé")...
Nous nous sommes revus à Paris en 1968 (grève à la Poste et événements de Mai 1968), puis en 1974 lors de la grande grève de la Poste. François, accompagné de son amie réalisait des reportages, des documents filmés sur les grèves, les mouvements ouvrier et étudiant, proche qu'il était du peuple, des maltraités, et cela dans une "vision du monde" que je partageais avec lui...
Par la suite notamment à partir de 1999 année de mon retour dans les Landes, je le revoyais tous les ans lorsqu'il présentait son dernier film au cinéma Entracte de Mugron, localité située à 8 km de Tartas... (un cinéma d'association culturelle)... Le film étant à chaque fois suivi d'un débat et d'un buffet dans une atmosphère de convivialité tout à fait exceptionnelle.
Je savais qu'il était malade depuis plus de deux ans, et j'ai appris dernièrement (début janvier 2016) par une personne de Tartas qui connaît bien sa maman, que François avait été opéré d'une tumeur au cerveau le 15 octobre 2015... (sans doute une opération de la dernière chance tentée)...
Tous les ans dans le milieu du mois d'août, François venait voir sa maman et restait quelques jours à Tartas... Jusqu'à ce qu'il tombe malade.
Je viens donc d'apprendre sa disparition, le jeudi 25 février 2016. Je suis complètement effondré !
Dans "La chambre des officiers" il y a une scène, à la fin du film, dans laquelle Adrien défiguré, dans le métro, fait des grimaces qui font rire une petite fille...
Une scène bouleversante, au delà de l'émotion, grave et chargée de sens, avec ce regard qu'Adrien porte sur son infirmité, ce regard qui rencontre le regard de cette petite fille. Par ce regard de l'un et de l'autre, une communication s'établit, une communication qui dans le "sens du monde", le monde des apparences, ne peut exister, même avec ses proches...
LES COURTS METRAGES DE FRANCOIS DUPEYRON :
En 1982 : On est toujours trop bonne, et La Dragonne (primé au festival international du court métrage de Clermond Ferrand en 1983)
En 1984 : La nuit du hibou, césar du meilleur court métrage documentaire
En 1988 : Lamento, césar du meilleur film court métrage de fiction
En 1996 : L'amour est à réinventer
En 2002 : Pas d'histoire, regards sur le racisme au quotidien
LES FILMS DE FRANCOIS DUPEYRON :
1988 : Drôle d'endroit pour une rencontre
1991 : Un coeur qui bat
1994 : La machine
1999 : C'est quoi la vie
2001 : La chambre des officiers
2003 : Monsieur Ibrahim et les fleurs du coran, et Inguélézi
2008 : Aide toi le ciel t'aidera
2009 : Trésor
2013 : Mon âme par toi guérie
LES LIVRES DE FRANCOIS DUPEYRON :
-Jean qui dort, roman, Fayard mars 2002
-Inguélézi, roman, Actes Sud Août 2004
-Le Grand Soir, Gustave Courbet et la Commune, roman, Actes Sud Août 2006
-Chacun pour soi Dieu s'en fout, roman, Léo Scheer octobre 2009
-Où cours-tu Juliette, roman, Léo Scheer septembre 2010
... Une oeuvre immense, éternelle et singulière d'un artiste et écrivain à l'esprit libre, que celle de François Dupeyron, et qui a marqué plusieurs générations de cinéphiles et de lecteurs...
... Une petite anecdote :
Dans ces années 1963 à 1967, le papa de François, Emile Dupeyron, conseiller minicipal à la mairie de Tartas et maraîcher de son état, se levait tous les matins sauf le dimanche, à 3 heures du matin, chargeait son fourgon Peugeot de toutes les caisses de légumes qu'il vendait sur les marchés à Mont de Marsan et autres villes dans les Landes... Puis il revenait en début d'après midi à Tartas, et après un déjeûner rapide (et de temps à autre s'il le pouvait une "petite sieste"), il partait travailler (semis, plantation, récolte, entretien et tout ce qu'il fallait faire au jour le jour) dans l'immense potager (un grand champ à vrai dire, de près de deux hectares je crois, et sans compter un autre champ de culture situé à la sortie de Tartas avant l'embranchement route de Carcen avec la route de Villenave Arengosse (aujourd'hui, ce champ est devenu un lotissement avec à l'entrée un cabinet médical)... Il employait des jeunes de l'Assistance Publique, qu'il formait au métier ; il m'est arrivé d'aller travailler avec lui tout à fait par seul intéressement personnel, une heure ou deux, des jours de vacances scolaires, parce que j'aimais le travail de la terre en plein air, voir pousser les salades, les légumes, oui j'étais très curieux de tout cela, et monsieur Emile Dupeyron était un homme de communication, volontaire, énergique, d'une immense bonté bien que c'était, sa bonté, une bonté qui jamais ne se laissait marcher sur les pieds ! Quel Homme ! J'ai été très peiné, plus tard, lorsque je travaillais à Paris, d'apprendre sa mort subite, je ne sais plus quelle année...
Un souvenir que j'ai et qui souvent me revient, de monsieur Emile Dupeyron, c'était quand je passais un dimanche sur deux à Tartas, étant pensionnaire au lycée de Mont de Marsan, en 1964, il m'arrivait de me rendre chez François pour passer l'après midi de ce dimanche, et Emile et sa femme Georgette étaient assis devant la télévision (télé en Noir et Blanc) à partir de 14 h et jusque vers 19h, ils regardaient "Télé Dimanche" : les volets de la fenêtre étaient "cabanés", Emile assis dans un grand fauteuil très confortable, allongé les pieds sur un tabouret avec un coussin, et qu'il pleuve qu'il vente qu'il fasse beau grand soleil, Emile ne bougeait pas de l'après midi et regardait Télé Dimanche en Noir et Blanc...
Oh combien, oh combien, vous pouvez pas savoir, à quel point je le comprenais cet homme là, de rester le dimanche après midi à regarder la Télé, lui qui se levait tous les matins à des 3heures, faisait les marchés, travaillait comme il travaillait six jours de la semaine et même le dimanche matin! C'était en effet, le dimanche après midi le seul moment de la semaine où il pouvait se reposer ! Et j'étais à chaque fois très ému de voir cet homme que je considérais comme un "monument", en train de se reposer dans la pénombre de la pièce aux volets des fenêtres cabanés !
Question volonté, caractère, gentillesse, sens de la relation humaine et de la communication, intelligence de l'esprit et du coeur, sensibilité, souci des humbles, des "oubliés et accidentés de la vie", on peut dire que François est bien "le fils de son père" ! Son père qui avait le souci de ces jeunes de l'Assistance Publique qu'il employait, formait, et considérait comme ses propres enfants!
... François Dupeyron en particulier, qui vient de quitter ce monde le jeudi 25 février 2016, François Dupeyron avec son oeuvre, sa pensée, l'être qu'il était, les questions qu'il devait se poser au fond de lui sur tout ce qui se passe dans le monde, sur ce que va devenir le monde, sur ce qu'il adviendra de l'actualité du monde, sur ce futur proche et lointain que chacun de nous imagine, essaye d'imaginer parfois, avec les découvertes scientifiques, les évolutions de la société, qui seront celles des années à venir... François Dupeyron ne le verra plus vivre, exister, évoluer, ce monde. Pour lui, le monde s'est arrêté le jeudi 25 février 2016, en tant que témoin vivant de ce monde, en tant que témoin qui exprime, qui traduit ce qu'il voit, ce qu'il sent...
François Dupeyron ainsi que tous ceux et celles d'entre nous, encore vivants il y a peu de temps, ou disparus depuis de nombreuses années, qui étions, chacun de nous à sa manière, témoins vivants du monde dans lequel nous étions, et dont la vie s'est arrêtée ce jour là, un 15 mars deux mille quelque chose, un 7 avril mille neuf cent quelque chose...
Ce qu'il y a de terrible dans la mort, à mon sens, outre bien sûr en premier lieu le fait de quitter les gens que l'on aime, outre la peine, l'immense peine que l'on fait aux gens qui nous aiment... Ce qu'il y a de terrible dans la mort, aussi, c'est de ne plus voir ce que le monde devient, de ne plus être témoin vivant comme l'on pouvait l'être, et, en tant que témoin, exprimer, dire, écrire, agir...
C'est la raison essentielle (la peine que l'on fait aux gens qui nous aiment et qui ont besoin de nous, de tout ce que l'on leur apporte et que l'on fait pour eux, d'une part ; et la curiosité de ce qui advient, de ce qui va être, le désir de savoir et la faculté de témoigner, d'autre part), c'est la raison essentielle pour laquelle je ne conçois pas le suicide... Sauf peut-être dans le cas où vient la certitude par suite d'une maladie ou d'un handicap très grave, de devenir un "légume", c'est à dire dans une inconscience totale, veillé, assisté par un proche pendant des années...
Le seul "recours" possible et envisageable par le témoin vivant que l'on est encore aujourd'hui, c'est le relais, le relais c'est à dire le "bâton témoin" que l'on va faire passer de sa main vers une autre main, afin que le témoignage puisse se perpétuer, certes dans une formulation, dans une réalisation, dans un agissement différents, mais dans le prolongement de ce que fut le témoignage de celui, de celle pour qui le monde s'est tel jour arrêté...
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