La tuerie d'Echirolles
- Par guy sembic
- Le 03/10/2012 à 10:54
- Dans Chroniques et Marmelades diverses
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... Cet horrible et dramatique fait divers, ce massacre à vrai dire, pour reprendre les mots même de Manuel Valls ministre de l'Intérieur... Ce massacre perpétré par une horde de jeunes sauvages, et cela au départ pour un motif très futile (un mauvais regard, à l'origine)... Me fait penser à une scène dont j'ai été témoin quand j'étais âgé d'une vingtaine d'années, à Paris, un jour de mai 1970 ou 1971...
Je m'apprêtais à prendre le train gare d'Austerlitz pour Dax et j'avais une bonne demi heure d'avance avant le départ du rapide Paris Austerlitz Irun Tarbes de 8h 45...
La cour des départs gare d'Austerlitz donnait sur le boulevard de la Gare le long des quais de la Seine, et le pont d'Austerlitz n'était pas loin... À cette heure là, il y avait beaucoup de monde dans le secteur, de la circulation, de l'animation, et chose curieuse ce jour là, pas un agent de police, aucun car de CRS à l'horizon, alors qu'en ce lieu l'on voyait souvent d'ordinaire le long du boulevard, trois ou quatre cars de CRS, et quelques gardiens de la paix, de ci de là...
Je marchais, d'un pas tranquille, entre le côté des départs et le côté des arrivées, sur le trottoir du boulevard qui va droit vers le pont d'Austerlitz, cherchant un café servant des croissants au comptoir, et sur cette portion du trottoir à ce moment là, peu de gens passaient...
Je vis une vieille dame, courbée, qui visiblement avait du mal à marcher, tenant un sac à main et tout à coup surgit un type "à face de rat" qui n'était pas cependant vêtu comme un clochard, il était même en costard noir fripé la cravate de travers avec une chemise blanche sale au col...
Et le type arrache le sac à main de la dame et se met à courir à toutes jambes, je le vois encore courir comme un dératé, son regard fou, perdu, halluciné, le sac à main volant au bout de son bras comme une étoffe dans le vent...
Un autre type qui avait vu la scène se précipite derrière le voleur, le rattrape et le ceinture... Le sac à main tombe, une autre personne intervient et jette le sac à main devant la vieille dame qui le ramasse aussitôt...
Mais en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, une vingtaine d'autres gens se précipitent dans une mêlée indescriptible, telle une masse de crabes sur une plage se jetant sur un oiseau blessé incapable de s'envoler, autour du type "à face de rat", tous ces gens là ayant été aussi témoins de la scène depuis l'autre côté du boulevard...
Et le type fut frappé à coups de poings, jeté au sol, piétiné, puis ensuite traîné par terre... et -j'en viens au pire- conduit comme un sac de patates tiré, entouré de la masse de ces gens, vers le pont d'Austerlitz... Mais la masse des gens était si confuse et si compacte que je n'ai pas vu le type tomber à l'eau, depuis l'endroit où je me trouvais...
Dans le train qui lentement s'ébranlait (j'étais encore seul dans le compartiment) je pensais à cette scène et chose curieuse, d'un côté je trouvais que le type (le voleur) méritait bien ce qui lui était arrivé ; mais d'un autre côté j'étais bouleversé, suffoqué par ce déchaînement de violence et de barbarie dont je venais d'être témoin... et je partis dans une longue réflexion empreinte de gravité, d'interrogation... La vérité c'était que j'étais demeuré dans cette affaire là, seulement et uniquement témoin, témoin passif et observateur, et sans le moindre réflexe me poussant à intervenir dans un sens ou dans un autre...
Ces gens, qui étaient autour du type, lui donnaient des coups de poing et de pied, puis l'ont tiré et sans doute jeté dans la Seine depuis le pont d'Austerlitz, eh bien ces gens là, oui, c'étaient "des gens comme vous et moi", de tous âges, des gens "normaux", qui, cinq minutes avant, marchaient d'un pas alerte ou tranquille le long du trottoir, se rendant à leur travail, pensant peut-être à leur femme, leur mari, leur enfant laissé à la maison, ou à quelque projet de vacances d'été... Rien ne laissait prévoir qu'en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, ils allaient devenir comme une masse de crabes se jetant sur un oiseau incapable de s'envoler...
C'était, je le redis... Il y a 40 ou 42 ans de celà... 1970 ou 1971...
Certes, le contexte du drame d'Echirolles en septembre 2012, n'est pas le même : ici le motif est futile, et les assassins ne sont pas tout à fait "des gens comme les autres" (question d'absence totale de repères, de milieu familial, social, d'éducation, de morale et de tout ce qu'on veut ; d'absence totale de toute notion de "valeurs" dans la relation, le tout lié à la misère, au trafic de drogue, au chômage endémique ; à l'absence de toute perspective d'avenir, dans une violence permanente ambiante, et avec tout ce qu'on voit à la télé et dans les jeux vidéos)... Alors qu'en mai 1969 ou 1970, le contexte était différent : un type arrachant le sac à main d'une vieille dame et pris à partie aussitôt par des témoins de la scène, donc un motif beaucoup moins futile ; et, un environnement socio-économique bien différent de celui d'aujourd'hui : pas de chômage, des "valeurs", de la morale à l'école, du traditionalisme, la messe le dimanche, le catéchisme, première communion, moins de divorces, moins de drames sociaux (disons que la violence aussi, n'était pas aussi médiatisée)...
Tout cela pour dire en définitive, que lorsque les passions se déchaînent sans que rien ne les retiennent ( pas le moindre flic à l'horizon par exemple) alors quelle que soit l'époque, quelles que soient les "valeurs", la culture, la morale, les modes de vie de l'époque... Et (sans doute la question la plus importante) quoi que l'on puisse porter en soi de soit-disant ou de réellement meilleur... lorsque les passions se déchaînent donc, c'est davantage pour le pire que pour le meilleur...
un horrible et dramatique fait divers
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