Articles de yugcib

  • L'attente

    C'est une attente

    Une attente avec tous ces mots que l'on va dire à l'autre

    Tous ces mots qui viennent sans être cherchés

    Dans cette attente toujours heureuse

    Cette attente qui enfle de tout ce que l'on y met dedans

    Et qu'on croit qui va arriver

    Et le jour le moment arrive enfin

    Mais le ciel n'est pas mieux habillé qu'hier ou avant hier

    Où est donc passée cette jolie écharpe de nuages

    Qui devait au jour dit traverser le ciel en fête

    Les mots ne sont plus là

    Et ce sont ces petits riens

    Auxquels on n'avait point pensé

    Qui ont bu le rêve

    Désenchanté le moment de la rencontre

  • La mauvaise réputation...

       Je pense à cette chanson de Georges Brassens, La mauvaise réputation :

    "Les braves gens n'aiment pas que..."

     ... Et à Coluche, qui en 1985 sur Europe 1, et à la télé parfois, n'était pas "en odeur de sainteté", et que beaucoup de "braves gens" de ce beau pays de France trouvaient "vulgaire"... Mais qui, vingt ans après sa mort, est regretté, loué même, par bon nombre de ces mêmes gens, y compris dans ces "petits coins gentillets et aseptisés" où devisent des quarterons, des quinquetons, des sextetons de coincés et de "correctement pensant" ...

    Ah, qu'il en faudrait, en refaudrait, de ces trublions de la scène ou de la littérature, pour secouer les burnous, les jolies mantilles, les costard-cravate ou les jeans de marque troués râpés !

  • Le pestiféré

    C'est un pestiféré

    Un pestiféré parmi d'autres pestiférés

    Qui font jamais un concours de pestiférés

    On n'en a rien à foutre du coeur grand comme un cosmos

    D'un pestiféré à pourtant belle âme

    Puisque c'est un apache

    Un pestiféré

    Qui a vociféré

    Certes avec ses petits mots à lui

    Des petits mots pas piqués des hannetons

    Qui ont pas plu

    Pas plu du tout

    Ce fut la bronca

    La bronca d'un quarteron d'un quinqueton d'un sexteton

    De coincés qu'aiment pas quand c'est pas aseptisé

    Et qu'ont cafté au Grand Muphti

    Alors alors le très beau le très profond le très émouvant et très applaudi

    Enfin le registre beau tableau de peintre

    Du pestiféré qu'a quand même une belle âme

    N'a plus eu droit de cité

    L'on ne retient que sa pestilence

    Sa pestilence pétée fesses écartées

    Au beau milieu du salon de thé

    De ces braves gentes gentiment devisant

    Depardieu a fait pire et bien pire mille fois pire à vrai dire

    Céline et Fante n'ont pas fait dans la dentelle en leur temps

    Mais ce sont quelques uns de ces pestiférés

    Par les coups qu'ils portent sur les croûtes de petits coins de terre

    Petits coins de terre dont ils sont expulsés

    Par les Grands Muphtis

    Oui ce sont ces pestiférés

    Qui par delà les mers gelées les déserts les montagnes les marais

    Portent leurs pas en avant du temps des modes et des supercheries

    Et des braves gentes gentiment devisant

    Des braves gentes qui grincent des dents au moindre caillou dans les lentilles

    Des braves gentes caftant au Grand Muphti à l'occasion

    Comme dans ces temps troublés de la dernière guerre mondiale

    Où l'on dénonçait son prochain parce qu'il était Juif ou Romanichel ou mauvais voisin

    Expulsé banni honni vitupéré

    Le pestiféré

    Déchiré détruit effacé le petit coin de ciel

    Qu'il avait pourtant ouvert

    Et qui avait tant plu aux braves gentes gentiment devisant

    De littérature de poésie de mille petits riens de cette vie qui court qui bat

    Le pestiféré

    On lui enlève même la possibilité

    De jouer au mort qui voit ce qui se passe après son enterrement

    Et entend ce qui se dit dans le petit coin où il n'ira plus

    Debout les damnés de la Terre

    Debout les damnés les pestiférés de la Terre entière

    On l'a toujours été debout

    Avec ou sans kalachnikov

    Poètes ou écrivains ou écrivaillons

    Curés ou guerilleros

    Peigne-culs ou même Grands Muphtis de l'art de la poésie de la littérature

    Y'en a en effet de ces pestiférés de tous les coins de terre

    De tous les sud de tous les nord

    De toutes les écoles ou d'aucune école

    De tous les déserts de toutes les plaines de toutes les montagnes

    Qui ont pas droit de cité ou qui au contraire ont droit mais dans ce cas ce droit

    C'est un droit concédé par les Grands Muphtis du Vase Sacré

    Pour cause de galette à se foutre dans le gosier et de marchés juteux

    En regardant le citoyen lambda se baisser pour ramasser les miettes

    Debout les damnés on l'a toujours été on le sera toujours

    Ne vous en déplaise braves gentes devisant gentiment ou vociférant ou caftant

  • Le Grand Péché

    Le Grand Péché sur la planète Internet

    Pire que le pinard en 1950 et que le tabac en 2013

    Le Grand Péché c'est

    Deux sous de réflexion dans un billet de blog dans un message de forum

    Qui te font passer pour un pestiféré un enfoiré un couillon un illisible un rêveur

    La Vertu c'est

    Des banalités avec des mots sucrés

    Un bon coup de gueule à propos de tel ou tel sujet d'actualité

    Parler de ses amours ratés

    Bloguer facedeboucquer des photos et des vidéos sensationnelles afin de se pâmer les uns les autres

    Merde à qui glapit à qui couine à qui aboie

    Merde à qui passe l'olive bien huilée dans le trou de bale

    Et qu'ensuite ça cuit dans le fondement

    Merde à la marmelade étalée sur la tartine

    Que tu t'en étouffes dès la première bouchée

    Merde et merde

    À ce qui court les rues les lieux publics le web

    Et s'impose de toute sa simplicité réductrice

    Avec ses clichés sa bêtise et ses effets d'émotion

    Merde à cette pensée uni-économinique

    De tous les Marchés pourris

    De fruits de légumes piqués à la dioxine

    De cheval de vache de mouton de cochon et de poisson d'élevage

    Nourris à la farine de tripes de carcasses de crêtes de pattes de rognons et de roustons

    Merde à cette austérité imbécile et cruelle qui lamine les peuples

    Mais qui sied aux grands saigneurs et à leurs coupe-jarrets associés

    Le Grand Péché sur la planète toute entière

    Il est d'abord commis par les chefs d'orchestre des musiques tam-tam-coeur-de-pieuvre

    Qui opèrent à grande échelle par toute la terre

    Espérant les gens devenir bêtes à manger du foin

    Le bec godemichant dans toutes les cramouilles produites par les gros tontons bricoleurs

    Le Grand Péché sur la planète toute entière

    Il est ensuite commis par toutes les mains qui battent au rythme du tam-tam-coeur-de-pieuvre

    Et rebattent afin d'en avoir encore pour le moins cher possible de toutes ces merdes entre leurs doigts...

  • Des livres "coup de hache" !

          Après avoir lu, de John Fante, "Sur la route de Los Angelès", "Bandini" et "Demande à la poussière", je trouve là quelque ressemblance avec "Sur la route", de Jack Kerouac... Voilà un livre "La route de Los Angelès" (ou Sur la route, de Jack Kerouac), que l'on ne trouve pas souvent sur les étagères des belles bibliothèques en merisier de pas mal de " bonnes maisons bourgeoises"... Et pour cause !

    D'ailleurs, ces livres là, on ne les voit pas trop non plus en vente, autant que les Lévy et les Musso, ou autant que les livres de nos vedettes de la télé et de nos personnages politiques, sur les étals des Leclerc Culturel ou des Maisons de la Presse... Je ne lis et encore moins achète, l'un ou l'autre de tous ces bouquins aseptisés, d'un romantisme édulcoré aux émotions bon marché ; de ces autobiographies d'hommes et femmes politiques et de présentateurs Télé toutes aussi nombrilistes les unes que les autres, de toutes ces histoires d'amour raté, de ces essais politico-économico-sociétal indigestes bourrés de termes et de locutions sortis des universités, de l'Histoire falsifiée et travestie dans une mise en scène tout ce qu'il y a de plus consensuel et conformiste , de la Géographie à effets spéciaux images surdimensionnées, de toute cette smala de nouveaux jeunes auteurs qu'on voit se pavaner dans des "talk shows" ou émissions de variété à la télévision...

    En effet, tous ces bouquins là, de ce monde là, oui ils sont dans les Leclerc Culturel, à France Loisirs, dans les Maisons de la Presse... Et des milliers de gens achètent ces bouquins -que souvent ils ne lisent même pas ou survolent à peine- parce que "ça fait bien", parce que "on en parle", parce que "t'es un crétin" si t'en a pas entendu parler"...

    Ces livres là je ne les lis donc pas ... Mais il m'arrive, afin de me "faire une idée de leur contenu", d'en feuilleter quelques pages, au hasard, de lire deux ou trois passages de ci de là...

    Tiens... Il faudrait que quelque autre John Fante ou Jack Kerouac, enfin un type "avec les tripes qui vibrent" sorte un jour, un livre encore plus déjanté, encore plus salace, encore plus virulent, encore plus scandaleux, encore plus fou, encore plus absurde tout ça à la fois puissance 10, et avec un vocabulaire à faire pousser des choux-fleurs lumineux dans les tissus cervicaux d'extraterrestres ayant crapahuté sur la Terre sans s'être fait voir !...

    ... Mais... "quelque chose me dit"... que les générations à venir, celles nées après l'an 2000, sauront "faire la différence" entre le crétinisme branché sorti des grandes écoles et le crétinisme consomo-jetable vendu à cent mille exemplaires d'une part (et qui n'a aucun destin) ; et ce qui luminera, bandera du coeur et des tripes, dépoussièrera et ouvrira un espace de relation et de création qui n'a pas encore existé, d'autre part...

  • Dans "Paroles de femmes", de Colette...

         "Tout ce qui m'a étonnée dans mon âge tendre m'étonne aujourd'hui bien davantage. L'heure de la fin des découvertes ne sonne jamais. Le monde m'est nouveau à mon réveil chaque matin et je ne cesserai d'éclore que pour cesser de vivre"...

          Ce que l'on découvre de nouveau, tout au long de notre vie, et qui "avant", n'existait pas mais avait peut-être été rêvé ou imaginé, c'est effectivement comme l'éclosion d'une nouvelle vie en nous, une nouvelle vie qui va être différente de celle que nous vivions jusque là, parce que, ce qui désormais existe et se répand, et que l'on peut utiliser, nous porte à imaginer sinon à réaliser un "possible" qui, avant, n'était pas même concevable...

          Née le 28 janvier 1873 à Saint Sauveur en Puisaye dans l'Yonne, et disparue à Paris le 3 Août 1954 à l'âge de 81 ans ; Colette a donc vu arriver l'automobile, le téléphone, la TSF, et sans doute la télévision dans ses débuts...

    Je l'imagine, née en 1973, aujourd'hui âgée de 40 ans, ayant connu les débuts de la téléphonie mobile et d'Internet dans les années 1990, puis le développement et la généralisation aussi rapide de ces technologies de la communication à partir de 2005 surtout...

    Est-ce qu'Internet, les réseaux sociaux, Twitter, les sites et les blogs, Skipe, la Web Cam, le smartphone, l'édition en ligne et la diffusion instantanée de tout ce que l'on peut produire d'image, d'écriture, de parole... Est-ce que tout cela, oui, aurait fait une autre Colette que celle de la première moitié du 20 ème siècle ?

    Et qu'en aurait-il été, de même, pour chacun de tous ces auteurs, écrivains, artistes, acteurs, réalisateurs, qui, durant la majeure partie du 20 ème siècle, ont fait avec le téléphone à cadran et à fil, avec le télégraphe, la machine à écrire, le courrier postal, un manuscrit déposé chez leur éditeur, lequel manuscrit d'ailleurs, devait être accepté pour être publié ?

    Il est évident que toutes ces nouvelles technologies apparues pour la plupart d'entre elles dans les années 1990, et faisant partie intégrante de notre environnement quotidien depuis seulement quelques années, en gros depuis 2004/2005 ; ont "radicalement changé la donne"... Et les destins, et les habitudes, et les modes de vie, la relation, les rêves, les aspirations, la pensée, la culture, tout ce à quoi on croyait "avant"...

          Cependant, tous ces fils, réels et virtuels, qui nous relient sans vraiment nous relier en fait, nous relient dans un immense maëlstrom qui nous emporte et dans lequel on s'agite, et où l'on pense, où l'on incrimine, où l'on sacralise, où l'on maudit, où l'on illumine bien plus que l'on agit, bien plus que l'on aime, bien plus que l'on vit...

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         Colette en 1896 par Jacques Humbert

     

  • Amour noir, de Dominique Noguez

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                                                                                                               Editions Gallimard

                                                                                                                         1997

                                                                                                               Prix Fémina 1997

    Résumé du livre :

         Le narrateur décrit sa passion charnelle impossible pour une danseuse strip-teaseuse : Laeticia.

         Dominique Noguez est un écrivain Français né en 1942, normalien, agrégé de philosophie et docteur es lettres, il a enseigné à l'université de Montréal, puis à l'université de Paris I.

         Nous sommes loin, très loin, dans « Amour noir », ce roman de Dominique Noguez,  des sirupeuses ou parfois même insipides histoires d'amour raté produites par des auteurs auto-édités du Net, et aussi – il faut le dire- par des auteurs connus du « grand public » dont les livres sont lus sur la plage ou dans le train...

    L'on ne peut pas dire – c'est du moins ce que j'ai ressenti tout au long du livre – que cet amour fut  raté  au sens où l'un des deux  aime plus que l'autre , et où l'on voit se déchirer deux êtres qui tout de même en dépit de situations explosives ou dramatiques, se voient et se revoient, vivent ensemble épisodiquement durant deux ans... Pas  raté , donc... Mais  noir , oui, cet amour !

    Page 20 : «  Quand j'étais revenu, elle était nue sur le lit, dont elle n'avait pas ôté le dessus »...

    Banalité de la situation, qui me surprend, après les premières pages qui précèdent et dans lesquelles l'auteur évoque dans le détail et dans une dimension littéraire peu commune, toutes ces phases d'approche de la femme aperçue : «  Elle n'avait d'abord été qu'une silhouette blanche surmontée d'un buisson de boucles sombres, dans la pénombre de la promenade du casino de Biarritz un soir de juin »...

    Page 21,22 et 23 : Eric revoit la cassette du Cheval Bleu, de Laeticia... Une cassette odieuse  que l'auteur nous décrit en quelques phrases d'une dimension d'écriture tout autre que celle  par exemple, de la prose  innocente  d'un blogueur  faisant le procès de la pornographie...

    Page 34 et 35 : « Je faisais ainsi grande consommation d'épigrammes grecques ou de « lettres » de samouraïs. Les poèmes d'amour arabes me retenaient aussi beaucoup, avec leurs « joues de rose » et leurs « yeux de gazelle ». (De toute façon, c'est cela ou les mots crus. La littérature amoureuse navigue toujours entre la métaphore un peu trop riche et le con-cul-bite ; je préférais la métaphore.)

    Je dis aussi pour ma part, que je préfère, dans l'évocation d'une scène d'amour, la métaphore, bien que je soupçonne cette dernière de barder de fine dentelle une réalité crue et nue... 

    Dans l'ensemble (et j'ai lu aussi quelques unes des historiettes de « Oeufs de Pâques au poivre vert ») j'aime l'écriture de Dominique Noguez dans laquelle je découvre dimension littéraire, vocabulaire riche et imagé, poésie, réflexion... Certaines de ses phrases assez longues sont néanmoins fort bien construites, bien articulées et rythmées, et « coulent comme des ruisseaux de montagne qui chantent »...

    Par comparaison, ayant lu de John Maxwel Coetzee, « Scènes de la vie d'un jeune garçon » ; j'ai trouvé que l'écriture de cet auteur était plus  épurée  (moins imagée, moins  poétique ) avec des phrases courtes, sans effets inutiles ; des phrases cependant, d'une  grande et nette correction de ton et de langage … Et aussi d'une grande sobriété. 

    J'aurais peut-être une préférence pour l'écriture de Dominique Noguez... Mais une écriture  poétique et imagée, au risque d'effets purement émotionnels, au vocabulaire riche et aux longues phrases rythmées... Est-ce une nécessité ? Est-ce vraiment  de notre temps ? Est-ce que cela peut avoir une  portée ? … Je pense par exemple  à des auteurs tels  que Jean Marie Le Clézio ou Alice Ferney...

    Que liront, comment liront, les nouvelles générations ?

  • Le traquet rieur

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         Le traquet rieur est un oiseau rare et fragile qui niche dans des trous de roche et défend l'entrée de son refuge en construisant une barricade de cailloux...

    Cet oiseau délicat, tout comme tant d'autres êtres vivants, est en voie de disparition, car ce que réalise l'homme depuis des millénaires pour imposer sa domination sur tout ce qui vit et pousse sur cette planète, devient la cause principale de la disparition de nombreuses espèces animales...

    Mais la vie, comme l'oiseau fragile, construit ses barricades de cailloux à l'entrée de ses niches, pour se protéger, se développer et se perpétuer...

    Et dans le combat que mène la vie pour se développer et se perpétuer en dépit de tout ce qui a disparu déjà et qui disparaîtra encore demain ; le martèlement des discours, des doctrines et des résolutions, a-t-il un sens, est-il crédible?

    Contre le pouvoir de ces géants alchimistes que sont les plus puissants des humains, le combat semble aussi dérisoire et aussi vain, que le rire du traquet contre le vent qui arrache et déchire...

    Et il y a aussi tous ces refuges de prédateurs disséminés dans les forêts, reliés entre eux et qui ravitaillent les géants alchimistes, de tout ce dont ils se sont accaparé autour d'eux...

    Le combat est inégal mais il n'est pas perdu...

    La vie construit des barricades de cailloux plus coupants, contre les doigts fureteurs des géants alchimistes...

    La vie peut disparaître d'un monde, mais pas de l'univers...

  • Ces personnes dont on se souvient...

    ... Que la vie mit un jour sur notre route et qui nous ont à jamais marqué...

    Il est vrai qu'il est plus facile, plus naturel, de dire du bien des personnes que l'on aime et dans la compagnie desquelles on se sent comme on dit "en phase"...

    Mais que dire, quel bien dire, quelle pensée avoir, de ces personnes qui, par ce qu'elles paraissent, par les propos qu'elles tiennent, par quelque sensibilité qui nous heurte ou nous surprend ; nous marquent tout autant, mais que le plus souvent on évite de rencontrer ?

    La "marque", en quelque sorte, c'est ce qui s'introduit dans notre esprit tel un coup de hache sur une mer gelée et qui ouvre une entaille... Une entaille qui révèle que, sous la mer gelée, il y coule du flot, du courant, de la vie, un ailleurs...

    Alors l'idée vient, peut-être, tout au moins dans le temps de la résonance du coup de hache, dans le temps de la fracture sur la glace ; l'idée vient que le regard que nous portons, cramponnés que nous sommes sur la mer gelée, n'est pas, n'est plus tout à fait le regard qu'il convient que nous gardions...

    Les personnes dont on se souvient et qui nous marquent le plus dans notre vie, sont, davantage encore que les personnes que l'on a tant aimées, celles qui forment et font évoluer notre regard, alors même que nous demeurons nous-mêmes, et libres...

  • Ces gens "d'en haut" qui font la loi et la mode et ont le pognon...

    ... Dans le chapitre XI Camus, page 301 des "Mémoires barbares" de Jules Roy , je note ce passage :

          "L'intelligentsia parisienne pouvait-elle accepter ce produit de Belcourt né d'un père commis de ferme à Saint-Pierre-Saint-Paul, commune de Mondovi, département de Constantine, et d'une Espagnole illettrée ? Son cheminement : l'école publique puis le lycée Bugeaud et la faculté d'Alger grâce à des bourses, la galère d'Alger Républicain puis de Paris Soir sous l'Occupation et enfin Combat, n'aboutissait pas à des chaires en Sorbonne, où les lumières brillent de tous leurs feux. Sur ses gardes, il ne se livrait d'abord qu'à demi. De moi, il ne redoutait rien, mais d'instinct, avec les autres, il croisait le fer. Sur les problèmes du moment, il relevait à sa façon les idées des maîtres comme un chef cuisinier de génie tire du magique de la vulgaire matière brute. .../...

    Je serais incapable de parler de Camus philosophe philosophant, analyste et critique des philosophes philosophant. C'était quoi, pour lui, la philosophie ? Comme pour Diderot : d'abord douter. .../...

    Jamais cependant les professeurs et magisters ne le reconnurent comme leur égal et n'eurent pour lui autre chose qu'une condescendance parfois amicale, eux qui ne connaissaient rien à l'amitié. Il ne sortait pas comme eux de la rue d'Ulm, il n'était pas agrégé et n'enseignait pas au Collège de France. Il devait au charme de son esprit et de sa personne le succès populaire qu'un vrai philosophe envie mais ne touche qu'avec des pincettes. La masse peut-elle comprendre les subtilités de l'art ? La masse devait se contenter d'applaudir, le savoir-faire de ces messieurs consistant à transformer le langage raffiné en langage vulgaire, épicé juste ce qu'il faut pour le rendre perceptible aux élèves de l'enseignement supérieur en le laissant fermé aux autres ?"

    ... Ce qu'écrit là Jules Roy au sujet des "professeurs et magisters" de l'époque d'Albert Camus, demeure toujours aussi vrai aujourd'hui : cette caste pour ne pas dire cette "maffia" d'intellectuels et d'écrivains, de décideurs économiques et politiques, célébrités du spectacle et de l'audiovisuel ; tous ou presque sortis de Grandes Ecoles ou pour certains de l'ENA ou de Science-Po... N'ont à l'égard de ceux qui ne sont pas "de leur monde" (mais qui cependant parviennent à faire entendre leur voix) qu'une condescendance amusée et faussement bienveillante)... Quant à la "masse", s'il lui arrive de réagir, de penser quelque peu, d'applaudir, d'admirer, voire de vénérer, d'être séduite et confortée dans ses émotions et ses sentiments... Elle est "touchée avec des pincettes", en vérité, par ces gens "d'en haut" qui font la loi et la mode et ont le pognon... en tirant précisément et abusivement le pognon des poches de cette "masse" si bien et si intentionnellement conditionnée pour consommer de l'épicé, du sensationnel, du différent, du vulgarisé (mais surtout pas de ce "nec plus ultra du meilleur", "chasse gardée" des privilégiés)...

    Le penseur, le philosophe, l'écrivain, l'artiste, le politique, l'économiste, lorsqu'il n'a pas dans son "bagage" le charme de sa personne mais seulement pour l'essentiel sa science et sa formation ; alors il envie sans doute celui qui doit davantage son succès au charme de son esprit et de sa personne, qu'à sa science et à sa formation...

  • Paysages

          Il n'y a peut-être jamais eu autant que de nos jours, reliés par des fils et en réseaux réels ou virtuels, autant de paysages relationnels...

    Mais tous ces paysages sont pour la plupart d'entre eux, arides, inconsistants ou fugitifs : ce sont des paysages linéaires et aplanis, traversés de vent, de formes ou d'ombres mouvantes et changeantes ; et le vent lapide, brûle ou glace ou caresse -c'est selon- dans une même giration tourbillonnante de nuées de poussière...

    Des mirages d'eau, de ciel, de visages, d'horizon et d'ailleurs, surgissent et dansent ; des caravanes s'échelonnent, proches ou lointaines, qui ne s'arrêtent pas et disparaissent sans laisser de traces...

  • L'hôtel des Baignots à Dax

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    ... Ce bâtiment aujourd'hui en rénovation complète, façade, intérieur et alentours, était jadis, jusqu'à sa fermeture en 1992, le Grand Hôtel des Baignots, à Dax, avec vue sur l'Adour...

    Il y a toujours bien sûr, le Splendid, de style et d'architecture 1930, magnifiquement blanc et imposant par sa taille, qui, de nos jours, s'est "un peu démocratisé" (si l'on peut dire), mais qui jadis, vers le milieu du siècle précédent, accueillait "tout le gratin" venu de Paris et des capitales Européennes, les grands artistes, grands écrivains, cinéastes, acteurs et comédiens célèbres... Ainsi que pas mal de gens riches, cossus et "faisant la Une de l'actualité"...

    C'est d'ailleurs au Splendid que venait Sacha Guitry tous les ans au début de l'été, qui y prit pension durant les jours terribles du grand exode sur les routes de France en juin 1940...

    Aujourd'hui, il n'y a plus besoin d'être bien riche pour s'offrir un séjour de trois semaines en cure à Dax, en demi pension au Splendid... (rire).

    L'hôtel des Baignots quant à lui, dans son plus glorieux temps du 20 ème siècle, celui des années 1930 à 1970 on va dire, pouvait passer pour un concurrent sérieux, presque de même niveau de standing et de commodités, que le Splendid... Venait là toute la bourgeoisie aisée de Paris, de Bordeaux, de toute la France, de toute l'Europe...

    Aujourd'hui, la ville de Dax rénove et transforme ce joyau architectural de style Second Empire, en immeuble résidentiel d'habitation.

    ... J'imagine, j'imagine... Certains de ces touristes et curistes relativement aisés de "dans le temps", emberlificotés dans d'ahurissantes et affriolantes toilettes en particulier les dames, avec de petits toutous exotiques tenus en laisse, en villégiature, en soins de thermalisme, débarqués en gare de Dax par le rapide première classe qui ne mettait déjà que six heures trente pour faire les 729 kilomètres depuis la gare d'Austerlitz de Paris...

    Que n'y eût-il eu à l'époque, de smartphone, d'internet, de Facebook et de camescope appareil photo numérique ! (Ils auraient su s'en servir de ces trucs là, tous ces curistes en shorts de ville à pli et chemisette blanche, toutes ces femmes à chapeaux "impossibles"!)

    J'imagine, j'imagine, les dames et demoiselles de la Grande Poste de Dax, derrière leurs guichets, aux prises avec le mandat télégraphique international d'un client pressé et exigeant... et "un peu piqué sur les bords"...

  • En ce lieu désert un dimanche d'hiver

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    ... Un décor pour un film fantastique et étrange... Mais pas forcément d'épouvante...

    Je dirais même " pour une rencontre agréable et imprévue un dimanche après-midi d'hiver avec une femme chic, très bien habillée, loin de tout regard indiscret, en ces lieux à l'abandon où ne passe jamais personne...

    L'on s'attendrait à vrai dire, à quelque apparition irréelle, telle une ombre mouvante passant d'une fenêtre à l'autre...

    La fragrance enivrante et subtile des feuilles mortes frémissantes encore toutes mouillées de la dernière averse ; les broussailles nues surgies de la terrasse craquelée, ce silence de cimetière à cette heure d'après-midi infinie, immobile et presque nostalgique, de dimanche après-midi d'hiver...

    Et cette femme menée en ce lieu, serrée très fort ; ces lèvres qui s'effleurent, se touchent puis longuement se caressent ; cette fête à deux, intime et solitaire, debout entre les deux escaliers...

    Ce rêve qui était déjà dans l'enfance de l'un et peut-être de l'autre, et qui est venu éclater ici, dans le silence de ce lieu autrefois habité et animé, aujourd'hui délabré...

  • Mémoires barbares, de Jules Roy

    memoires-barbares.jpg                                                                                                             Albin Michel, 1989

    Quatrième de couverture

          "Je suis né en même temps que l'aéroplane dans la plaine de la Mitidja, au sud d'Alger. J'ai passé mes premières années avec ma mère, ma grand-mère, mon oncle Jules et un vieil ouvrier agricole indigène qui s'appelait Meftah. On s'éclairait à la bougie, le pétrole et la lampe Pigeon étaient un luxe, nous allions à Boufarik dans un break à deux chevaux, les premières autos commençaient à rouler en soulevant un nuage de poussière, il y avait des fusils partout, le soir je m'endormais dans le hululement des chacals et la voix qui appelait les Arabes à la prière. J'ai appris à lire dans le Chasseur Français. Au lycée d'Alger, je fus un cancre, on m'expédia au séminaire : notre professeur de grec sondait l'éther avec un poste à galène et notre professeur de littérature entrait en transe en lisant Lamartine.

    Ma vocation, je la trouvai dans l'armée. Je devins officier. Mes inspirateurs furent un merveilleux mandarin omniscient à demi loufoque, Montherlant et deux poètes alors à Tunis, Jean Amrouche et Armand Guibert. Quand la Deuxième Guerre mondiale éclata, j'étais dans l'aviation, le désastre nous chassa jusqu'à Alger et le drame de Mers el-Kébir nous rangea aux côtés de Pétain. Antijuif et antiarabe, je fus un homme de droite jusqu'à l'arrivée des Alliés en 1942. La confusion qui régnait fut mon salut : j'allai où je devais. Mon premier livre, La vallée heureuse, raconte comment les bombardiers lourds de la RAF écrasèrent l'Allemagne. A mon retour en France en 1945, Camus m'ouvrit les yeux sur le monde, puis je marchai seul. Après ce que je vis en Indochine, je quittai l'armée. Après ce que je vis en Algérie, je devins un subversif.

    Je le suis toujours".

    Jules Roy est un écrivain et militaire français né le 22 octobre 1907 à Rovigo (Algérie, plaine de la Mitidja) et mort le 15 juin 2000 à Vézelay dans l'Yonne...

    En juin 1953 il quitte l'armée qui, selon lui, en Indochine se déshonore, il se porte alors vers la littérature et après la mort de son ami Albert Camus en 1960, il dénonce la guerre d'Algérie et ses atrocités.

    J'avais déjà lu de lui "Les chevaux du soleil" dans une édition de poche de plus de mille pages, une saga de plusieurs générations d'une famille depuis le 14 juin 1830 au débarquement des troupes de Charles X sur la plage de Sidi Ferruch, jusqu'au 3 juillet 1962, jour de l'indépendance de l'Algérie...

    L'action, les personnages, les drames, la vie des gens, les évènements, de 1830 à 1962, tout cela se passe dans la plaine de la Mitidja, entre Alger et les collines du Sahel, et Blida au pied de l'Atlas Tellien (le pays où j'ai vécu avec mes parents, de 1959 à 1962)...

    Je vous livre ici un passage de ces Mémoires barbares :

    Page 169 :

    ... Et le Blida de ce temps là gardait sur moi le même empire, avec ses calèches autour de la place d'Armes, son fameux kiosque à musique avec palmier, l'odeur de péché que toutes les femmes répandaient derrière elles. Dès qu'on parlait de Blida, un soleil éclatait sur le boulevard planté d'orangers.../...

    La ville était pleine de riches grainetiers, de marchands de vin, d'exportateurs d'agrumes, tout le trafic d'Alger avec le Sud passait par là, on disait aussi que les filles de Blida étaient les plus sensuelles de la plaine.

    Je cite ce passage car ayant vécu moi-même à Blida, âgé de 11 à 14 ans (j'ai été au Lycée Duveyrier à l'époque, en classe de 6ème et 5ème), entre 1959 et 1962, je peux dire que, dans ce que raconte Jules Roy, de Blida, de son temps à lui, eh bien en 1960, "c'était encore ça" (mais avec des automobiles Peugeot, Citroën et Renaud autour de la place d'Armes, et bien sûr, toujours le boulevard planté d'orangers, avec les oranges tombant par terre et se ramassant comme des feuilles en novembre)...

    Quelle époque littéraire et artistique que celle de ce 20ème siècle : Céline, Saint Exupéry, les débuts de l'aviation, Gide, Pauhlan, Anouilh, Sacha Guitry, Cocteau, Sartre, Simone de Beauvoir, Montherlant, Mauriac, Camus, Albert Londres... Et tous ces écrivains, journalistes, intellectuels et artistes du temps là ; qui soit dit en passant, avaient "une autre consistance, une autre trempe" que toute cette pléiade d'auteurs et d'artistes d'aujourd'hui se produisant ou étant présentés dans des émissions Télé grand public !... Non pas qu'il n'y ait pas de talents ou de "grandes figures" parmi ces derniers, mais les époques, celle du siècle passé et celle de ce début de 21 ème siècle ne sont pas comparables, du fait du foisonnement, de la diversité, de l'étendue de l'offre en matière de livres et de littérature, du nombre d'éditeurs et d'auteurs, de l'édition en ligne sur le Net, et des blogs... De telle sorte que la consistance, la portée, l'impact d'une oeuvre sur un public, ne se dégage pas vraiment et demeure noyé dans le nombre... Et que le nombre est surtout fait de "tout venant", surtout fait de produit de consommation, et par là, de médiocrité, de banalité, de contre-façon, de plagiat ou de clonage, d'esbroufe et de divers effets spéciaux ou arrangements d'occurrence...

    ... Tout de même, cet écrivain Jules Roy : un homme "de droite" durant la première partie de sa vie, et comme il dit "antijuif et antiarabe", et comme il l'écrit dans son livre "Mémoires barbares", si peu enclin à soutenir les brigades internationales et les républicains pendant la guerre civile espagnole... Un homme qui, "de droite" depuis son enfance ; en 1942 change de vision et en 1953 devient un subversif jusqu'à la fin de sa vie... Ce n'est pas ordinaire !

     

  • Le silence de ceux qui ne disent rien...

         S'il y a l'écriture, la parole, la poésie, l'agissement, la réaction exprimée et portée sur la place publique, de quelques uns d'entre nous qui ne peuvent demeurer indifférents...

    Il y a aussi ce silence de ceux et de celles qui ne disent rien, n'écrivent rien, ne postent pas dans les forums, n'envoient pas de "courrier des lecteurs" dans les journaux régionaux du samedi et du dimanche, ne bloguent pas... Ce silence oui, des uns et des autres, de tant d'uns et d'autres en vérité, mais qui n'est pas forcément un silence complice ou tacite...

    Ce silence là, il porte en lui ses mots, sa pensée, sa révolte, et à sa manière il lamine, il est bien réel, bien présent... et parfois, plus efficace, plus "fédérateur", plus "combatif" dirais-je, que tous ces discours "à déterrer les haches de guerre", que tous ces écrits et que tous ces propos qui voyagent sur les blogs et sur les réseaux sociaux ou même que toute cette prosodie d'intellectuels et de pseudo-intellectuels sur les évènements de l'actualité, sur la société en général, sur tous les sujets sensibles dont on parle dans les tribunes de RTL et autres radios...

    C'est un silence qui se lit comme la page d'un livre dans un regard, sur un visage, dans un comportement, dans le choix qui est fait d'une manière d'acheter, de vendre et de consommer, de lire ou de ne pas lire tel ou tel livre, de regarder ou de ne pas regarder telle ou telle émission de télévision" ; c'est une manière de communiquer avec son prochain... C'est un silence qui agit bien plus qu'il ne s'exprime publiquement en "roulant ses grosses mécaniques", c'est je crois, le silence de tous ces gens que l'on prétend -souvent avec mépris ou condescendance- soumis, incultes, et que l'on prend pour des veaux...

    Et ce silence là, moi, il m'interpelle et je crois en lui et je lui fais confiance, il bousculera le monde, même s'il lui faudra du temps pour cela !...

    Ce n'est pas parce que le monde est noir, affreusement noir, lucidement noir ; ce n'est pas parce qu'il y a tant et tant d'imposture et d'esbrouffe, tant de médiocrité relationnelle, tant de violence, tant de vulgarité, tant de soumission, tant de complicité tacite, tant de compromission, tant de mensonges, tant d'hypocrisie, tant d'injustice, tant de culte de l'apparence et de la performance et de l'immédiateté... Qu'il faut désespérer, penser que "le combat est perdu d'avance"...

    La culture, l'interrogation et le doute, l'audace dans la pensée et dans l'acte, le risque qu'il y a à se voir vite fait bien fait torpillé et coulé ou repris de force dans le courant et entraîné, mais avec la peur vaincue en soi de ce risque là... Cela, oui, c'est une sorte de révolution à faire en soi et autour de soi, pour récréer de l'avenir...

    Non au mépris de la fiction réaliste et novatrice, au mépris de la poésie, au mépris de la réflexion ; non à la contrefaçon dans l'Art et dans tout ce qui se vend et s'achète !