sept explosions

  • Fille de la rue

         Voici "Fille de la rue", un poème de AMINA MAHMOUD, traduit de l'arabe par Antoine Jockey

    [ Paru dans MISSIVES, revue trimestrielle de la Société Littéraire de la Poste et de France Télécom : mars 2016, "Prose et poésie irakiennes contemporaines"... ]

     

    Fille de la rue

     

    Je suis une fille de la rue

    Et ma taille pousse courbée, en s'interrogeant.

    Mon âge? Sept bourgeons desséchés

    Sept explosions qui ont raflé les sept membres

    De ma famille.

    Avorte-moi ô mon malheur!

     

    A chaque feu vert, je me laisse choir sur le trottoir, mon siège

    Sans fin, mon royaume.

    Toutes les larmes sont miennes

    Tous les mouchoirs ne suffisent pas

    A assécher leurs sources.

    La rue est à présent ma mère

    Et le feu de circulation, mon père

    J'ai tellement goûté au soleil en pleine canicule

    Qu'il m'a fait mûrir

    Et les couteaux du froid se sont disputé mon corps

    Ô Dieu, vers qui me tourner?

    Ne connaissant pas la ruse, comment en user?

     

    Le chagrin est ma Bible, les larmes mon Evangile

    La privation mon Coran

    Et dans mes yeux la vie s'est changée en enfer

    Alors l'oubli est mon seul salut

     

    Comme vous, j'ai des yeux

    Une langue et deux lèvres,

    Alors pourquoi, Dieu,

    Suis-je sans abri?

     

    Regarde-moi lorsque la rue se calme

    Et que le soleil rejoint sa demeure

    Comme le policier à la fin de son service.

    Regarde-moi chercher un tas d'ordures

    Pour m'y planquer et me mettre à gémir.

     

     

    ... Dans un pays en guerre c'est toujours plus difficile pour un poète, pour un écrivain ; que dans un pays dans lequel règne une sécurité, un confort relatifs...

    Amina, tu es comme ce naufragé de l'espace dans une coque de survie en errance entre Andromède et la Voie Lactée... Et, quelque part sur la planète d'où tu viens mais dans un paysage de cette planète qui n'est pas le paysage de ton enfance et de ceux qui t'ont précédé depuis des milliers d'années, il y a ce visage, mon visage, qui sait que tu existes... peut-être, ce visage, est-il un petit bout de ce Dieu en lequel tant croient, qui a des milliards de petits bouts, et qui a vu les mots que tu as écrits... Même si on est tout seul dans sa peau jusqu'à la fin de ses jours, quand on écrit, même si on écrit comme un naufragé de l'espace dans une petite coque de survie entre deux galaxies... on n'est jamais vraiment seul...