une nuit d'amour
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L'artiste qui dort avec son public
- Par guy sembic
- Le 17/12/2012
- Dans Chroniques et Marmelades diverses
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C'est Ravix, un jeune chanteur et auteur compositeur qui se produit sur des places publiques dans un pays où sur cent habitants au kilomètre carré, trente cinq se définissent artistes ou poètes ou "faisant quelquechose de pas comme les autres"...
La concurrence est donc rude, l'audience aléatoire en dépit de tout ce que permet la technologie de la communication par Internet, les réseaux sociaux entre autres, et par quelques opérations médiatiques locales où la soit-disante gratuité du spectacle n'est qu'apparente (il faut à la fin de la représentation, "mettre cent balles dans le dada")...
Ravix a réellement de l'audience même si les Autorités en place ne l'encouragent pas...
Ravix est si amoureux des visages de son public, qu'avant chacune de ses représentations dans une rue, sur une place ou dans un café, et de temps à autre dans une salle de cinéma ou de théâtre, il se sent saisi d'un intense bien-être au point d'avoir... Une érection !
Et en cet état bien gênant pour lui, il tarde à se présenter ; et derrière le paravent où il se prépare, ou derrière le voile du rideau devant la scène, il perçoit l'attente de ses chers visages... D'ailleurs par les déchirures éparses du rideau ou du paravent, entrent dans son regard comme par le trou d'une serrure, quelque arrangement de coiffure, l'expression d'un regard, un profil typé et délicat, de visage ; le revèlement d'un col d'imperméable, quelques jolies jambes croisées, d'une femme élégante ; une atmosphère particulière se dégageant de telle ou telle personne...
Alors Ravix, tout juste au moment venu d'apparaître enfin, se sent "huilé et aussi raide qu'un bâton de berger"...
Mais, par l'un de ces sursauts de son esprit dont il a le secret sans cependant en comprendre le mystère, il maîtrise son émoi... Ne lui vient-il pas alors, quelque trait lumineux jailli de l'une de ses "sources intérieures" ? Au fond de lui-même il savait que s'il n'y avait point eu cette "source" en lui, l'être qu'il aspirait à être n'aurait pu survivre aux foudres qui le traversaient...
Alors se réalise comme une symbiose entre l'artiste et son public...
Le décor, l'éclairage, le lieu de la représentation, salle, rue ou place, tout cela est très sobre. Ravix s'accompagne lui-même, sa voix s'éleve, les paroles et les notes descendent de la montagne de ses enfances en un torrent qui semble courir à en perdre son cours, devient lumière avant d'aller se jeter dans l'océan.
Il vient à l'issue de la représentation, une discussion, un forum, dans une atmosphère particulièrement chaleureuse, animée et conviviale. Délivré de ses "immensités en lui", plus même protégé par ses "sources", de ces foudres qui lui vitrifient l'esprit ; alors que visages ravis et féminités habillées ne cessent de le frôler et de se rapprocher entre eux, il va, d'une "constellation de visages" à l'autre, répond à quelques questions, et... Ne "brûle" plus...
C'est fou ce que l'intensément vécu prolonge l'instant, le moment, l'heure présente, et redimensionne en quelque sorte l'espace temps !
Les heures passent, personne ne s'éloigne et vient un temps étrange...
C'est un jour, un soir, une nuit... Alors que personne cependant ne s'est donné le mot, au premier étage de l'Hôtel de Ville devant la place où s'était tenue la représentation, il y a un dortoir aménagé ayant servi récemment pour accueillir des réfugiés d'un pays en guerre.
Une femme parmi la trentaine de personnes ayant assisté à la représentation de Ravix, déclare : "Et si nous allions tous dormir ensemble?"
La perspective de dormir avec son public, manque de faire défaillir Ravix !
Qu'eût pu-t-il rêver de mieux, lui qui était si amoureux de son public !
L'on ne se déshabille point. L'on rapproche les lits de camp, il se tient encore d'interminables discussions dont les dernières s'éloignent comme des murmures de moteurs d'automobiles dans le lointain lors d'une nuit d'été étoilée.
Serré entre une jeune femme en imperméable et une petite fille blottie dans les bras de son frère, Ravix demeure toute la nuit éveillé, écoutant la respiration de tous ces êtres endormis.
Il n'a jamais de sa vie, connu une aussi belle nuit d'amour.