Élise ou la vraie vie, de Claire Etcherelli

Elise

… Roman paru en 1967 aux Éditions Denoël, Prix Fémina même année 1967.

Édité ensuite en 1973 chez Gallimard…

 

Claire Etcherelli dans ce roman, évoque le climat qui régnait en France à la fin des années 1950 durant la guerre d’Algérie, le racisme ambiant à l’égard des Arabes Algériens venus occuper en métropole des postes de manutention dans les usines (de fabrication de voitures, souvent) ainsi que sur les chantiers de construction de bâtiments et de routes… Tenus pour “responsables” d’attentats, de violences et d’agressions, de “chapardages divers” et d’actes de délinquance… Mais surtout aussi, à l’époque, soupçonnés par les Autorités, par la Police, ainsi que par les Français, d’être sympathisants du FLN et des rebelles algériens “poseurs de bombes”…

Avant 1962, année de l’Indépendance Algérienne, et cela depuis surtout après la 2ème guerre mondiale avec la Reconstruction et le “plein emploi” dans les entreprises et les usines ; de nombreux algériens, arabes, ou nord africains comme on les appelait communément, s’étaient installés en France dans ces régions industrielles et d’usines autour de Paris et de quelques grandes villes, habitant dans des “bidonvilles” ou dans des quartiers misérables, de logements insalubres… Ils constituaient une “main d’œuvre bon marché”, quoique bénéficiant d’aides sociales, d’allocations… au sujet des quelles on leur reprochait “quelques abus”…

Après 1962, le flux migratoire s’est fortement accentué, venant de l’Algérie devenue indépendante mais gouvernée par des personnages corrompus… Je me souviens, quand j’avais 13 ans en 1961 et que j’étais en 5 ème au lycée Duveyrier à Blida, j’avais un copain arabe, l’un de mes meilleurs copains avec lequel nous passions les récrés en discutant de sujets d’actualité, de littérature, de philosophie (eh oui, à 13 ans ça peut arriver)… Il me disait : “quand on sera indépendants, ils vont nous mettre une république démocratique, mais ils vont se remplir les poches, les chefs, et nous, après, on sera aussi pauvres sinon plus que du temps de la France, et on sera obligés d’aller travailler en France, on n’aura pas de boulot ici!” …

En lisant ce livre, j’ai réalisé à quel point il y avait comme une similitude entre cette époque de la fin des années 1950, et notre époque en 2021 : ce racisme ambiant à l’égard de tout ce qui vient des pays du Maghreb, du Moyen Orient, du Pakistan et de l’Afghanistan, des pays du Sahel Africain… Du fait de l’insécurité liée aux attentats, à la violence, aux agressions, tout cela sur fond d’islamisation radicale ou fondamentaliste… Certes le contexte événementiel n’est pas tout à fait le même aujourd’hui qu’en 1957, mais il y ressemble…

C’est la “résonnance” de ce livre, dans notre vie d’aujourd’hui, qui m’interpelle et me questionne…

Les Ordres de pensée et d’opinion, le “pour”, le “contre”, les arguments des uns et des autres, dès lors que l’on se démarque des partis pris, des préjugés, des crispations, dès lors que s’ouvre un espace de réflexion… Tout cela devient comme une image vue dans un kaléidoscope, une image qui surgit étirée, déformée, colorée, mouvante… Donc jamais figée…

Il faut dire aussi que la “résonnance” de ce livre, en partie, tient à la sobriété, à la précision de l’écriture de Claire Etcherelli, dans les descriptions notamment de l’atelier, des postes de travail en usine et des conditions de travail, des situations de relation vécues par les gens de l’usine (de fabrication de voitures) entre eux et avec leurs chefs, avec les délégués syndicaux… Et entre “arabes et français”, entre hommes et femmes…

En somme l’écriture dans ce roman, “bat” au rythme de tout ce qui bruit et se meut, dans l’usine et dans tout ce Paris de 1957/1958…

Arezki, l’amoureux -Arabe Algérien – d’Élise, la jeune femme française, est un être délicat, peu disert, discret, un être avec lequel il est difficile de communiquer, totalement différent, de par sa personnalité, de ces camarades d’atelier arabes comme lui… L’un de ces êtres qui porte en lui, comme par miracle ou par hasard, une beauté intérieure d’âme, qui, en face et confronté à ce qui l’entoure, de banal, de commun, de ce monde de violence, de domination des apparences et de dureté dans la relation… Ne peut que le faire souffrir…

Ces êtres là, dans le monde en lequel ils vivent, sont presque toujours des perdants…

D’ailleurs la fin du livre est assez tragique… Tragique dans ce “certain ordre des choses” qui, en 1958 ou en 2021, est, somme toute, toujours “à peu près le même”…

 

Page 276, ce passage :

 

Boulevard Poniatowski se dressent ces bâtisses qui ceinturent Paris de leur laideur d’avant- guerre. Maisons antipathiques aux façades revêches, pierres ternes, ouvertures indécises, grandes cours intérieures privées de soleil, là vit toute une aristocratie ouvrière aspirant à la bourgeoisie. Foulée, broyée par l’indifférence, les idées reçues, la vie d’un Arabe est de quel prix ici? Le goût de l’ordre sue de ces maisons. On l’a refoulé, renvoyé là bas, dans la guerre.

 

J’aime bien ce terme “d’aristocratie ouvrière”, pour parler de ces gens humbles, simples, exerçant ces métiers ou professions, activités jugés “non valorisants”, que l’on dit “sans culture” mais qui, comme dans la chanson de Pierre Bachelet “ont dans leur cœur le soleil qui leur fait défaut devant leur visage” (c’est pas tout à fait ça mais ça y ressemble)…

Cette aristocratie là, c’est celle en laquelle je crois, profondément, viscéralement, de toute mon âme… Faite de bonté, mais aussi de dignité, et d’humilité… Et qui rarement s’exprime, parce qu’elle est toute entière dans ce qu’elle accomplit tous les jours qui la brise mais dont elle ne se plaint pas…

Cela dit, certains aristocrates au sens propre du terme, peu nombreux il est vrai… Sont eux aussi de cette aristocratie là, du même genre que celle des gens simples, dignes…

C’est bien de cela qu’il s’agit, du racisme, des discriminations, quoi qu’en pensent les méprisants, les condescendants, toute une foule d’hypocrites dont certains se prétendent anti racistes mais le sont, racistes, bel et bien… Il y aura toujours à un moment ou à un autre, quelque chose dans leur langage, et même dans leur regard, qui les trahira…

Le racisme, à vrai dire, va bien au delà d’une question d’ethnie, de mode de vie, de couleur de peau…

Le racisme s’inscrit dans une perception de la culture de l’autre, de la crainte que l’autre nous inspire…

Le racisme s’inscrit dans une perception que l’on a, que l’on a adopté, d’une catégorie sociale que l’on se refuse à fréquenter, dont on méprise la manière dont elle vit au quotidien…

 

… Malheureusement – et c’est d’autant plus dans la réalité du monde d’aujourd’hui, en France notamment – cette “aristocratie là”, celle des gens modestes exerçant des métiers et professions “non valorisants”, celle des “gens du commun”… Ne constitue pas, loin s’en faut, une majorité…

Beaucoup de ces gens “aboient avec les loups” et contribuent par leurs habitudes de consommation, par l’acceptation du toujours plus facile et plus à leur portée, par le renoncement, par la paresse, par les habitudes, par l’indifférence, par le souci d’un confort relatif “de base”… À faire des loups, de plus grands prédateurs ; ils donnent en quelque sorte du “grain à moudre” aux méprisants, aux condescendants… Et des votes pour le Rassemblement National, et de ces “gilets jaunes” qui n’ont pas grand chose à voir avec les “oubliés du Système” dont ils font peut-être partie mais en “mettant en avant” d’autres revendications plus “individualistes”, et cela avec des crispations et un petit air de racisme ambiant mine de rien…

Et ça, c’est pas de l’aristocratie !

… On peut-être poète, rêveur, idéaliste… Mais cela n’empêche pas pour autant d’être dans le réalisme pur et dur qui consiste à “ne pas prendre des vessies pour des lanternes “ !

 

 

 

racisme

  • Aucune note. Soyez le premier à attribuer une note !

Ajouter un commentaire