Le voyage en France, de Benoît Duteurtre
- Par guy sembic
- Le 18/07/2015 à 06:53
- Dans Livres et littérature
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Gallimard, prix Médicis 2001, dépôt légal novembre 2001
Quatrième de couverture :
Un jeune Américain, épris de culture française, part à la découverte du "pays des peintres et des poètes". Il débarque dans la France d'aujourd'hui, s'égare dans les quartiers touristiques et la ZUP Claude Monet, arpente les plateaux télé et les coulisses de l'édition puis s'enfuit dans un monastère spécialisé en nouvelles technologies...
L'itinéraire de David croise celui d'un Français quadragénaire qui a longtemps rêvé d'Amérique. Tandis que l'Américain s'éprend d'une prétendue reine de la Bohème, le Français tombe amoureux d'une vidéaste branchée.
Conte, récit de voyage, autobiographie et fiction s'agencent dans ce cressendo romanesque qui glisse parfois de l'hyperréalisme au fantastique loufoque.
Un extrait, page 268 :
"L'Européen d'aujourd'hui vit dans cette espèce de schizophrénie. Il grandit dans un décor chargé de souvenirs. Il rêve d'être à la fois d'hier et d'aujourd'hui. Il piétine sous les ombres de son passé, tout en cherchant ses modèles dans un nouveau style mondial, très banal, qui se répand comme un champignon sur les ruines. L'Amérique provinciale se greffe sur l'Europe provincialisée. La beauté se conserve comme une "spécificité culturelle"...
Et, page 274 :
"Sur les pâturages, quelques vaches regardaient le spectacle du crépuscule en s'efforçant de comprendre ce qui se passait. Etait-ce la première fois? Elles ne se souvenaient pas précisément des jours précédents. Elles ignoraient également que les services vétérinaires de la préfecture envisageaint de procéder à leur abattage massif pour soutenir les cours. Impropres à la consommation, elles allaient prochainement servir de combustible dans une cimenterie."
Réflexion personnelle :
De toute évidence, le "Français quadragénaire rêvant d'Amérique" n'est autre que l'auteur lui-même né en 1960 et ayant donc vécu une partie de sa vie (en gros son enfance, sa jeunesse et jusqu'à 40 ans) dans ce que j'appelle "le monde d'avant 1989", ce monde qui entre dès 1990 "en transition" jusqu' au début du 21 ème siècle (2008 on va dire) dans le "nouveau monde" celui du 21 ème siècle.
Benoît Duteurtre fait donc partie de cette génération (celle des nés après la seconde mondiale jusque vers le milieu des années 1970) qui, passé les années 50 du 21 ème siècle, aura disparu du monde des vivants...
Benoît Duteurtre est en quelque sorte, en tant qu'écrivain, romancier plus précisément, un "témoin de son temps", du temps qu'il traverse entre deux mondes... Ce qui veut dire que lorsque tous ceux et celles (écrivains, poètes, penseurs, philosophes, artistes, et plus généralement les femmes et les hommes que nous sommes tous, encore vivants), de ces générations des nés entre la fin de la seconde guerre mondiale et la fin du 20 ème siècle auront disparu... Il ne demeurera plus, du "monde d'avant 1989", que de l'écrit, de l'image, du document, des films, des vidéos, de la photographie, de la musique... Et qu'il n'y aura donc plus de "témoin encore vivant" pour exprimer, dire, raconter de vive voix, diffuser...
Seuls cependant, les enfants, les filles et les fils de tous ces "témoins" disparus, ayant écouté, lu leurs parents, pourront encore transmettre presque comme s'ils avaient eux mêmes vécu dans leur enfance et leur adolescence, cette vie de jadis vécue par leurs parents... Et la transmission, aussi précise, aussi exacte, aussi juste qu'elle pourra l'être -et elle le sera- se diluera dans le temps, s'altèrera par toutes sortes d'interprétations...
... Il y a à mon sens, dans le fait d'être "témoin de son temps" et dans la nécessité, le besoin que l'on a de transmettre... Que l'on soit écrivain, artiste ou femme ou homme de la vie de tous les jours... Une certaine gravité à témoigner, à transmettre, à exprimer, et cela d'autant plus que l'écrit, que l'image, que le document, que la photo, que la séquence filmée... sera désormais durant un temps indéfini (une "éternité provisoire"), une trace...
La "vraie éternité" n'est sans doute pas à mon sens, la "vie éternelle ou le paradis" promis par les religions... Mais la certitude de ce prolongement de nous-mêmes, au delà de notre vie, dans toutes ces vies qui seront... en 2050, 2070, 2100...
Ah, ce bébé de 2015... Il aura cent ans en 2115 !
... Nous sommes la "vie éternelle" des gens qui vécurent à la fin du Paléolithique Supérieur, des gens qui vécurent aux 10 ème, 15 ème siècle de l'ère Chrétienne...
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