Les forêts de la nuit, de Jean Louis Curtis
- Par guy sembic
- Le 15/08/2014 à 07:25
- Dans Livres et littérature
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L'auteur :
Jean Louis Curtis est né le 22 mai 1917 à Orthez, et décédé le 11 novembre 1995.
Il a obtenu le Prix Goncourt en 1947 pour son livre « Les forêts de la nuit ».
Il a été élu à l'Académie Française en 1986...
Mais de nos jours, sans doute depuis même avant sa mort en 1995, il n'est plus lu, et comme « passé aux oubliettes »... Est-ce à cause de son style, de son écriture « passés de mode » aujourd'hui ?
Voici cependant ce qu'en pense Michel Houellebecq, qui écrit à son sujet :
« Jean Louis Curtis est totalement oublié aujourd'hui. Il a écrit quinze romans, des nouvelles, un recueil de pastiches extraordinaire (…) et pourtant, aujourd'hui, il n'en reste plus rien, plus personne ne le lit, c'est injuste, c'était plutôt un bon auteur, dans un genre un peu conservateur, un peu classique, mais il essayait de faire honnêtement son travail »...
… C'est tout à fait exactement ce que je pense, comme Michel Houellebecq... Oui, venant de lire « Les forêts de la nuit »... Et je compte bien, par cette note que je rédige, refaire découvrir cet auteur... dont le style est aujourd'hui « passé de mode » mais dont le texte, enfin le contenu du texte est à mon sens, d'une actualité aussi proche, aussi tragiquement réaliste, que l'actualité de ces « années noires » de 1940 à 1945...
Le livre :
Ce que j'en dis :
« Une chronique sans complaisance, d'une grande exactitude, réaliste, et d'une lucidité tragique, de ces temps de ténèbres que furent les années de l'occupation Allemande et de la France de Vichy, de 1940 à 1944 »...
Résumé du livre :
Dans une petite ville située sur le gave de Pau, peut-être Orthez, que Jean Louis Curtis appelle « Saint Clar »... se déroule l'histoire...
Avec Francis de Balansun, 17 ans, un garçon au cœur pur, un résistant à sa manière... La sœur de Francis, Hélène, une jeune femme chic, en apparence très traditionnelle et rigide de maintien et de comportement, mais qui délaisse son fiancé Jean disparu alors qu'il tentait de rejoindre l'Angleterre par l'Espagne, laquelle Hélène qui s'abouche avec Philippe Arréguy, un voyou recruté par la Gestapo ; le père de Francis et d'Hélène, le comte de Balansun, un homme d'âge avancé « très classe très vieille France » mais résistant lui aussi, « à sa manière »... Et Madame Costellot, qui passe son temps à épier les gens de « Saint Clar » ; Madame Arréguy, la mère de Philippe qui adore son fils quasi « amoureusement », une femme accorte, et qui « n'a pas froid aux yeux »...
Dans le livre :
… La bêtise et la haine couraient et ondulaient le long de cette foule bien nourrie, heureuse, cette foule de Saint Clar, qui n'avait jamais souffert, pour qui la guerre avait été une Golconde et les Allemands une bénédiction.
Ils étaient tous là, au grand complet, les petits profiteurs honnêtes de la guerre ; ils étaient là, hilares, rutilants de graisse et d'âpreté, les paysans des environs, ceux qui avaient exploité avec science et discernement la mine d'or allemande. Et puis tous les autres, les inconscients, les neutres et ceux qui avaient fluctué d'une opinion à l'autre, au gré des nouvelles militaires ; et les marchands, et les bonniches qui, la veille encore, chantonnaient des romances franco-allemandes ; il y avait Salaberry, le gargotier dévot et riche, flanqué de ses fils porteurs de scapulaires. Il y avait aussi des femelles dédaignées par les Allemands... Et tous exultaient, parce qu'on leur avait promis de faire défiler dans les rues deux ou trois putains faméliques, coupables d'avoir couché avec des prisonniers russes. C'était le jour de la vengeance, le jour des saintes colères. Il fallait des coupables. Et Saint Clar, toujours courageuse, avait décidé de faire défiler, nues, deux putains dévorées de tuberculose et de syphillis. …
… Jacques était là, au bord du trottoir, contemplant la foule. Le dégoût qu'il avait d'elle le faisait souffrir comme l'amour. Ses yeux étincelaient, ses poings se crispaient dans les poches de sa veste. « Ils » étaient répugnants, répugnants... Leur bassesse monstrueuse, leur lâcheté, leur laideur. Ce jour qui aurait pu être beau et noble, « ils » l'avaient défiguré, avili. C'était pour sauver ces larves que des milliers d'hommes étaient morts, des millions d'hommes ; que les garçons les plus purs de France avaient subi la torture ; que les parachutistes anglais étaient tombés du ciel comme des anges libérateurs ; pour sauver ces larves, que des armées russes et américaines avaient dépensé des miracles d'énergie et d'endurance. …
… Car il n'y aurait pas de révolution. La colère de ce peuple impuissant s'était résolue en cris inutiles contre de faux coupables et des boucs émissaires. D'un conflit à l'échelle de la planète qui aurait dû passer sur la France comme un grand souffle purificateur, ce peuple ne retirerait nulle leçon, nul enseignement, nulle grâce. Il n'y aurait que le retour des anciennes pantalonnades municipales ou électorales, la continuation d'un statu quo d'injustice et de médiocrité...
… Ces passages, qui évoquent le « Grand Jour » , le jour de la Libération, mais aussi qui résument ce qui s'est passé durant ces cinq années de la seconde guerre mondiale en France, dans les villes et les villages, d'un bout à l'autre de l'échelle sociale... Me semblent aujourd'hui encore d'actualité... La bêtise et la haine... Les coupables désignés, les petits et gros profits, la lâcheté, la bassesse, la duplicité, l'hypocrisie... Et le Fric, toujours aussi Roi, les mêmes drames, la même réalité absurde et tragique... Mais aussi -et heureusement- la même beauté du monde en opposition, comme un fleuve d'une majesté et d'une force sublimes qui charrie sur ses bords, les raclures et les boues et les végétaux décomposés arrachés aux rives...
Les « Occupants » sont aujourd'hui les Grands Décideurs des Centrales de médias, les assemblées d'actionnaires de multinationales, les rois de la finance, les décideurs économiques, et leurs servants, à savoir les Gouvernements et leurs élus, leurs instances...
Et les « collaborateurs » sont ceux qui se gavent de ce que les Occupants dégueulent, et qui se vautrent dans le marécage puant de ces mêmes occupants...
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