Les lisières, d'Olivier Adam
- Par guy sembic
- Le 28/09/2013 à 11:23
- Dans Livres et littérature
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L'auteur :
Né en 1974, Olivier Adam a grandi en région Parisienne et vit actuellement en Bretagne.
Son premier roman Je vais bien, ne t'en fais pas a été adapté pour le cinéma par Philippe Lioret.
Passé l'hiver a reçu le Goncourt de la Nouvelle en 2004 ; À l'abri de rien le prix France Télévision 2007 ; et Des vents contraires le prix RTL Lire 2009...
Agé de 39 ans en 2013, Olivier Adam fait donc partie de la nouvelle génération des auteurs les plus contemporains, c'est dire de ces auteurs nés après 1968, et dont les livres ont été publiés alors que nous venions d'entrer dans le 21 ème siècle...
Il est depuis le début du 21 ème siècle, l'un des rares -sinon vraiment le seul- romancier Français qui pénètre dans l'intimité, dans le vécu, le ressenti de ses personnages ; et en même temps, qui met en scène ses personnages à l'intérieur de la « machine sociale » -et aussi familiale- dans laquelle ils évoluent. Une « machine » qui, le plus souvent, les broie, les brise, et fait d'eux des exilés, des êtres de nulle part...
Ses personnages sont par exemple des pères « en bout de course », des enfants abandonnés, des couples qui se séparent, des hommes et des femmes qui vivent comme sur un fil, sans cesse prêts à tomber dans le vide... Ce sont les éclopés de la vie, souvent rejetés, et dont l'existence ne compte pas et se dilue dans l'indifférence.
Le livre : Les lisières :
Roman de 500 pages environ, paru en Août 2012, édité chez Flammarion.
Avec Les lisières, Olivier Adam écrit son livre le plus abouti, et le plus ambitieux aussi.
L'ensemble du début jusqu'à la fin du livre, et à chaque page même, est une gigantesque fresque d'une densité extrême, dans laquelle l'auteur nous raconte l'histoire personnelle, intime, d'un homme « expulsé de sa propre vie », histoire qui en même temps est aussi celle des gens appartenant aux « classes moyennes » de la société Française d'aujourd'hui.
Le narrateur, Paul Steiner, est écrivain. À l'âge de dix ans, il tente de mettre fin à ses jours alors qu'il se trouve au bord d'un précipice, et depuis, il verrouille tout en lui.
Il rencontre Sarah, qui sera sa femme et le sauvera des démons qui l'habitent. Avec Sarah et ses enfants Clément et Manon, il sera tour à tour et en même temps heureux, et absent. Alors, au bout de quelques années, Sarah le quitte définitivement. Il continue à voir ses enfants qu'il adore, qu'il chérit... Et il demeure toujours amoureux de sa femme, qu'il voit de temps à autre, et dont il ne supporte pas la présence à ses côtés, de son amant, un type qu'il déteste et dont la personnalité, le statut social lui déplaisent souverainement...
Le temps d'une semaine, Paul retourne dans la cité pavillonnaire de son enfance, en banlieue parisienne, voir sa mère hospitalisée. Depuis vingt ans, Paul n'avait pas remis les pieds dans cette cité de V. , cette « lisière » qu'il a fui de toutes ses forces. Et la route de ce retour sera une route difficile, de mise au point et de réflexion, de souvenirs...
Mon avis :
Après avoir lu Les lisières d'Olivier Adam, la première chose qui m'est venue à l'esprit, c'est une réflexion que je m'étais faite et que d'ailleurs j'avais précédemment postée dans l'un de mes billets de blog :
« On est tout seul dans sa peau jusqu'à la fin de ses jours » …
Et c'est bien cela, dans le livre : le narrateur Paul Steiner (qui n'est probablement autre par le biais d'un personnage fictif, que l'auteur lui-même), est aussi d'une certaine manière, chacun d'entre nous, avec son ressenti, ses émotions, son « parcours » chaotique -et souvent dramatique- de vie... Et également avec sa solitude intérieure, son isolement, tout ce qu'il ne peut communiquer, tout ce qu'il vit en lui, pris dans le « maëlstrom » de son environnement familial, social, de travail et de relations...
Et ce qui m'a frappé, interpellé, ému, et par moments il est vrai m'a « un peu épuisé à la lecture » c'est cette densité quasi permanente dans la formulation, dans la pensée, dans la réflexion, dans ces longues, interminables phrases-réquisitoire de tout ce que l'on peut observer et déplorer dans le monde, les gens, les comportements, les habitudes, la difficulté de vivre et de communiquer au quotidien... Il y a là toute une vérité et un réalisme tragiques et oh combien réels, et en même temps on sent, on ne sent que trop, ce que les personnages, ce que le narrateur lui-même, ressentent... Et que, inévitablement, on partage...
Ce livre, c'est l'existence de tous ces gens « ordinaires » que nous sommes presque tous, qui n'est jamais « mise en avant » par les Médias, dont la plupart des écrivains et des intellectuels ne parlent jamais -comme s'ils n'existaient pas, comme s'ils étaient « quantité négligeable »... Et cela nous change en effet, de tous ces romans où il est question de milliardaires, de personnages importants, de décors somptueux, de tout ce qui fait la « Jet Set » du monde littéraire et artistique... Et alimente les séries de télévision, ainsi que les plateaux d'émission de « talk show »...
Ce livre c'est une fenêtre ouverte sur le monde réel, sur la vie des gens... Très années 2010-20 +++, ces années qui sont celles que nous vivons au quotidien... Une fresque, oui, d'une densité extrême, et qui « nous rentre en plein dedans »...
Reste cependant à surmonter ce vécu, le nôtre en particulier, à se libérer de tout ce qui nous « plombe » et à entrevoir « comme la possibilité d'une île, d'une île qui ne peut pas être un paradis mais un monde dans lequel on se sent moins seul et où l'on n'a plus cette peur alimentée telle un feu qui ravage...
Olivier Adam, à la fin de son livre -et d'ailleurs avant la fin à plusieurs reprises- évoque le Japon... Il y a là un symbole, comme le symbole de « la possibilité d'une île », d'un « monde différent »...
Extraits :
Page 20 (collection poche J'ai lu) :
« Avant de monter dans la voiture j'ai jeté un œil à la fenêtre de Manon. Entre les branches du grand cèdre son visage en morceaux m'observait. Nous nous sommes fait un signe de la main, notre signe à nous, un truc compliqué, en six ou sept temps, inspiré des rappeurs et des gars des cités, que nous avions inventé ensemble quand elle avait quatre ans et qui nous avait suivis toutes ces années ».
Page 109 :
Je l'avais connu à quinze ans branché du matin au soir sur Radio Libertaire, lisant Charlie Hebdo et l'Humanité, écoutant Jacques Higelin, Bernard Lavilliers et Hubert-Félix Thiéfaine, lisant les poètes russes et la Beat generation. Rien qui ne laisse présager qu'un jour il s'inscrive en droit et se mette en tête de devenir commissaire. Encore moins qu'il devienne un sympathisant zélé du RPR puis de l'UMP. Tout avait changé le jour où sur la place du marché deux types descendus de la cité d'une ville voisine lui étaient tombés dessus, fermement décidés à lui voler son portefeuille ».
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