Un testament Espagnol, d'Arthur Koestler
- Par guy sembic
- Le 30/05/2019 à 08:11
- Dans Livres et littérature
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... Arthur Koestler, journaliste anglais d'origine hongroise, est à Malaga en 1937 lorsque les troupes nationalistes prennent la ville. Sympathisant déclaré des républicains, il était alors correspondant pour le journal anglais News Chronicle. Il est arrêté et incarcéré par le général Bolin notamment à cause d'un article peu flatteur consacré au général Queipo de Llano, un des principaux instigateurs du coup d'État de 1936, à la tête des troupes combattant dans le Sud de l'Espagne. Le général en question avait promis la mort à tous les « rouges » ; quatre mille partisans du Front populaire furent exécutés suite à la prise de Malaga. Arthur Koestler va attendre son exécution près de quatre mois avant d’être libéré en mai 1937.
... Un livre bouleversant, très bien écrit, différent de la plupart des ouvrages sur la guerre d'Espagne 1936-1939.
Ces pages ont été pour la plupart écrites dans l'attente d'une mort quasi certaine, par l'auteur lui-même, emprisonné tout d'abord à Malaga, puis à Séville, du 9 février au 10 mai 1937, après sa condamnation par un tribunal militaire sous l'accusation de "aide à une insurrection armée" ( Auxilio del Rebellion Militar )...
Durant son séjour en prison, Arthur Koestler voyait souvent dans le milieu de la nuit entre minuit et 2 heures, venir le gardien et le prêtre qui entraient dans la cellule du prisonnier pour l'emmener contre un mur avec d'autres prisonniers. Entre le moment où la porte de la cellule s'ouvrait et l'éclatement de la salve, il ne s'écoulait que quelques minutes...
Dans la profondeur des pensées, dans la capacité et dans la lucidité de l'auteur durant ces trois mois passés en prison, cela même dans des circonstances aussi dramatiques... Bien que cela se soit passé en 1937 en Espagne, il y a dirais-je, une "intemporalité" dans la mesure où l'Histoire se répète, où les guerres, les prisons, les dictatures, les oppressions, sont toujours les mêmes... Et où il existe encore et toujours des gens, dans le combat comme dans l'ordinaire des jours et dans ce qui est vécu en face du danger, de la peur, de la violence ; pas forcément des héros médiatisés et célébrés, pas forcément des intellectuels ou des écrivains ou des correspondants de guerre... Mais des anonymes, des hommes et des femmes d'une grande profondeur de pensée, d'un grand courage, d'une grande lucidité, d'une grande capacité de réflexion, dont les noms ne seront pas inscrits sur des monuments, dont les historiens du 21 ème, du 22 ème siècle ou de d'en mille ans, feront des figurants dans leurs ouvrages comme il y a des figurants par dizaines dans les films d'histoire à grand spectacle...
EXTRAITS :
- Page 23 :
"Nous arrivons à Malaga à la nuit tombée. Première impression : une ville après un tremblement de terre. Pénombre, des rues entières en ruine, celles où les maisons sont demeurées debout sont désertes et jonchées également de ruines ; silence de mort, et, dans l'air, ce goût spécial que nous connaissons tous depuis Madrid : une poussière de craie mêlée de fumée, et aussi, -est-ce une imagination?- l'odeur répugnante de la chair brûlée."
-Page 32 :
"Sir Peter m'a expliqué qu'il tient les anarchistes pour des gens raisonnables, les communistes et les socialistes n'étant que des espèces de bureaucrates réactionnaires."
Page 272 :
"Au fond de leur coeur, criait le caballero en chemise noire, tous les Espagnols sont de notre côté. Quans les rouges fusillaient les nôtres, leur cri final était notre cri "Viva Espana" . J'ai vu fusiller quelques rouges, eux aussi criaient au dernier moment "Viva Espana". A l'heure de mourir, on dit la vérité."
Note personnelle :
... Les anarchistes sont des gens "raisonnables" dans la mesure où ils fondent leur réflexion, leurs choix et leur liberté, sur le seul principe intemporel et naturel de la relation humaine, sans ces supports que sont la morale, la religion, les lois et les formes de gouvernement, l'armée et la police. Ce qu'il y a de "raisonnable" en eux, tient à la liberté qu'ils se donnent, une liberté indissociablement liée à la responsabilité qu'ils ont, d'eux-mêmes et des autres, de leurs actes et de tout ce qu'ils expriment...
Dans l'"échelle" ou, si l'on veut, dans le nombre des barreaux de l'échelle, des mouvements anarchistes -l'échelle n'étant pas verticale et posée contre un mur mais horizontale et posée sur un sol instable (ou mieux, entre les bords d'un ravin)- ... Peut-être -c'est ce que je pense- que le mouvement anarchiste Espagnol des années 1930 -1939, dans ses composantes reliées ensemble, était "l'un des plus solides barreaux d'échelle qui ait pu exister"...
Mais bien sûr -c'est ce que je pense aussi- le plus solide de tous les barreaux ce sera, ce ne pourra être que celui d'acier trempé, inoxydable, incorruptible... qui n'a encore jamais été produit...
... Si les socialistes, les communistes, le gouvernement républicain en Espagne, en 1937, avaient pu s'entendre avec les anarchistes, et si les uns et les autres ne s'étaient pas entre-tués, pourpres et rouges et roses qu'ils étaient dans l'arène, alors que tombaient sous la force armée franquiste, les villes peu à peu depuis le sud de l'Espagne... Même avec l'appui des Italiens de Mussolini et des Allemands du 3 ème Reich d'Hitler, Franco "aurait eu fort à faire" et n'aurait peut-être pas gagné la guerre...
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