Vers l'âge d'homme, de John Maxwell Coetzee
- Par guy sembic
- Le 23/07/2015 à 07:08
- Dans Livres et littérature
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John Maxwell Coetzee est un écrivain Sud Africain né le 9 février 1940 au Cap...
Un écrivain sans parti pris qui ne suit pas de courant idéologique ni de mode, et ne verse pas dans le manichéisme (opposition entre le bien et le mal)...
Le cadre historique et l'environnement où évoluent personnages et situations, n'apparaissent dans ses récits qu'en toile de fond et ne constituent pas l'élément fondamental ou principal... Et encore moins, la réflexion dialectique...
L'auteur transpose les problèmes qu'il traite, à la manière d'un artiste peintre composant un tableau. Mais un tableau réaliste, dont les images sont pures, dures et d'une cruelle ou tragique lucidité... Et en même temps l'on perçoit bien dans l'écriture de l'auteur, de la candeur et de la pudeur, et de la discrétion...
"Vers l'âge d'homme" c'est l'histoire d'un homme alors âgé de vingt à vingt-quatre ans (en fait l'auteur lui-même) pris dans les engrenages d'un système dont il est en même temps victime et complice... Un homme fébrile, questionnant et au destin particulier...
... Voici quelques extraits de "Vers l'âge d'homme"... qui ont particulièrement retenu mon attention :
..."La poésie ne consiste pas à lâcher la bonde aux émotions, mais à échapper à l'émotion", dit Eliot dans une phrase qu'il a recopiée dans son journal. "La poésie n'est pas l'expression de la personnalité, mais un moyen d'échapper à la personnalité". Puis après coup, Eliot ajoute amèrement : "Mais seuls ceux qui ont de la personnalité et des émotions savent ce que c'est que d'y échapper".
Il a horreur de déverser sur la page un simple flot d'émotions. Une fois ce flot lâché, il ne saurait comment l'arrêter. Cela serait comme si l'on sectionnait une artère et qu'on regarderait le sang jaillir et couler. La prose, heureusement, n'exige pas d'émotions : il faut lui reconnaître ça. La prose est comme une étendue d'eau calme et plate sur laquelle on peut tirer des bords à loisir, en laissant le dessin du sillage sur la surface.
... Danser n'a de sens que lorsque l'on peut l'interpréter comme symbole d'autre chose, fait que les gens préfèrent ne pas admettre. C'est l'autre chose qui est réelle : la danse n'est qu'un camouflage. Inviter une fille à danser, cela veut dire qu'on l'invite à coucher ; accepter l'invitation, cela veut dire qu'on accepte de coucher ; danser, c'est mimer l'acte sexuel, l'anticiper. Ces correspondances sont si évidentes qu'il s'étonne qu'on prenne même la peine de danser. Pourquoi tout le harnachement, pourquoi les mouvements rituels, pourquoi cette comédie ?
... Pourtant, avant de pouvoir oublier, il faudra qu'il sache quoi oublier ; avant d'en savoir moins, il faudra qu'il en sache plus. Où va-t-il trouver ce qu'il lui faut savoir? Il n'a aucune formation d'historien, et de toute façon ce qu'il cherche ne se trouvera pas dans les livres d'histoire, puisque cela appartient au quotidien banal, aussi banal que l'air qu'on respire. Où va-t-il trouver ce savoir ordinaire d'un monde disparu, un savoir trop humble pour même savoir que c'est un savoir ?
... Lui et Ganapathy sont les deux faces d'une même pièce : Ganapathy qui meurt de faim, non parcequ'il est coupé de sa mère patrie, l'Inde, mais parce qu'il ne mange pas comme il faut, parce que, malgré son diplôme de maîtrise en informatique, il ne sait rien des vitamines, des sels minéraux et autres acides aminés ; et lui, pris dans une fin de partie débilitante, où chaque coup l'accule davantage et le rapproche de la défaite. Un jour ou l'autre une ambulance va arriver devant l'immeuble de Ganapathy, et les ambulanciers le sortiront de son appartement sur une civière, avec un drap qui lui couvrira le visage. Quand ils seront venus chercher Ganapathy, ils n'auront plus qu'à venir le chercher aussi."
John Maxwell Coetzee a reçu pour l'ensemble de son oeuvre, le prix Nobel de littérature en 2003...
De tous les prix littéraires qui existent et sont chaque année décernés en France et dans le monde, le Nobel de littérature est le seul pour lequel j'ai, disons, "une certaine considération" (et qui pour moi a du sens)... Car il qualifie l'ensemble de l'oeuvre de l'écrivain, et non pas seulement, comme par exemple pour le prix Goncourt ou le prix Renaudot, un ouvrage de l'auteur...
D'ailleurs, il y a à mon sens, beaucoup trop de prix littéraires... Cela va des plus "prestigieux" (en fait des tous premiers qui ont existé dans le passé) jusqu'aux plus "impossibles" (comme par exemple ces si nombreux "petits prix" de diverses associations d'écriture ou clubs ou différentes sociétés d'édition et de littérature/poésie)...
C'est au salon du livre du Festival International de Géographie à Saint Dié dans les Vosges, que j'ai acheté ce livre "Vers l'âge d'homme", de JM Coetzee... J'avais déjà lu "Scènes de la vie d'un jeune garçon" ... Et après coup, ayant lu dans les deux jours qui suivirent le festival, "Vers l'âge d'homme", j'ai regretté de ne pas avoir aussi acheté les autres livres (dans la collection poche "Points") de JM Coetzee...
Je peux dire que "Vers l'âge d'homme" m'a vraiment bouleversé, marqué, et que tout ce qu' exprime l'auteur dans ce livre, rejoint d'une certaine manière le regard que je porte moi-même sur tout ce que j'observe des gens, du monde, des évènements, des situations... Tout cela, oui, n'est bien que "le fond général du tableau" (et non pas l'essentiel, et encore moins le "définitif" du tableau)... L'essentiel est dans ce qui ne se voit pas, dans ce qui n'est pas exprimé, dans ce qui se fait à l'intérieur d'un être, dans ce qui surgit sous la forme d'un questionnement (j'ai aimé toutes ces phrases en questionnement, dans le livre de JM Coetzee)...
... Quand on sait quel destin fut en réalité celui de JM Coetzee, (il poursuivit ses études, devint professeur de littérature américaine, écrivain et prix Nobel)... l'on peut en effet s'étonner de lire (dernière page de "vers l'âge d'homme") :
"Un jour ou l'autre une ambulance va arriver devant l'immeuble de Ganapathy, et les ambulanciers le sortiront de son appartement sur une civière, avec un drap qui lui couvrira le visage. Quand ils seront venus chercher Ganapathy, ils n'auront plus qu'à venir le chercher aussi."...
Phrase effectivement, d'une noirceur absolue... Car c'est ainsi que le "John" du livre, le personnage central, ("il") entrevoit son destin... (il vient de passer trois années en Angleterre, en jeune homme pris dans un système , un "ordre des choses", dont il est à la fois victime et complice... Et sans cependant s'être trouvé dans le dénuement, n'en a pas moins "mangé de la vache enragée" (surtout sur le plan relationnel et environnemental et moral) jusqu'au jour où il fut confronté au dénuement de son ami Ganapathy, un "exilé" comme lui (mais venu du continent Indien alors que lui, John, venait d'Afrique du Sud)...
Toute la "problématique" si je puis dire, d'une "vision pessimiste" et d'une lucidité aussi tragique... réside peut-être dans le questionnement sur la nécessité (comme dans l'instinct de survie) et sur la difficulté qu'il y a, à se libérer peu à peu, de cette "vision aussi pessimiste et aussi empreinte de réalité tragique"...
Il y a là, à mon sens, un pessimisme absolument "moteur" (et d'autant plus "moteur" qu'il se révèle soutenu par une forme d'humilité, de "remise en question de soi"... et, au fond, de cette lucidité pure et dure comme à l'intérieur d'un creuset avant le travail de l'alchimiste...
Il ne manquerait peut-être là, dans cette dernière phrase du livre, qu'une petite note d'humour (il y a déjà une petite note de dérision)... Mais, à bien "creuser" tout au long du livre, elle s'y trouve bel et bien, la petite note d'humour)...
... Un "très grand livre" donc, que "Vers l'âge d'homme" de JM Coetzee...
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